Le Comptoir

Le meilleur endroit pour s'abreuver directement au robinet pendant que le patron à le dos tourné. N'hésitez pas à laisser traîner vos oreilles indiscrètes sur la conversation de votre voisin.

Quand t'arrives dans une ville, tu peux toujours la juger par ses alcooliques. Enfin par les mecs qui traînent dans ses bars quoi. C'est vrai pour n'importe quel endroit, je veux dire qu'à l'époque, tu m'aurais trouvé à Brooklyn si tu t'étais aventuré dans le bar de l'oncle Schlomo. Donc ce que je fais, c'est que je vais toujours dans le rade le plus populaire du coin. Ca te montre les tripes de la ville. Après, s'agit de pas aller dans le genre de trucs fréquentés par la jeunesse doré. Faut bien choisir le rade.
Le Kadie's, apparament c'est l'endroit pour se mettre une mine quand ta femme t'as quitté. Donc j'arrive devant la porte, le vigile est un vigile. Ni plus ni moins : un gros balaise avec qui tout dialogue est impossible. Les vigiles... Voilà une race de gens que je déteste. Pour qui se prennent ces merdeux? Je sais pas trop, dans le fond tu peux pas trop te prendre pour Clint Eastwood... Autant je peux comprendre le flic qui se prend pour Dirty Harry, autant le vigile qui se prend pour Charles Bronson est un mystère complet.
Enfin bref, je suis pas venu la pour disserter de l'influence qu'a la fonction d'un individu sur son comportement, je suis venu évaluer Basin City. Et me noyer dans le whisky, accessoirement. Le vigile me regarde mal, c'est son métier tu me diras. Mais je présente quand même bien, alors il me laisse passer. Et me voilà dans leur foutu rade. Lourde odeur de tabac et d'alcools forts... Epaves extrêmes... Mecs louches... Danseuses bandantes...

J'adore cet endroit.

Mais j'adore encore plus ce que je vois. Contre toute attente, au milieu de la fange et des mecs à tête de kosovards, y a une putain de sa mère de perle... Avec de gros tétons. J'adore vraiment positivement cet endroit. Et la poitrine de cette femme. Et les poitrines en général tu me diras. Ouai. Donc quoi de plus naturel : je me dirige vers le comptoir, à côté de ma lubie. Je me fais remarquer par le barman en foutant mes bras sur son comptoir à la con.

-"Mets-moi un double Johnnie Walker chef. Du Red ira très bien."

Si la fille avait pas eu déjà un truc à boire, j'aurais sorti le classique, "et pour la demoiselle?" très lourd et utilisé à outrance. Donc en fait c'est mieux comme ça. Mais qu'est-ce qu'elle boit la donzelle? C'est transparent et à priori c'est pas de l'eau. Donc quoi que ce soit, c'est un truc fort. Elle me plaît de plus en plus.

-"Vous supportez ce genre de boissons? Je commence à comprendre ce que vous faîtes ici. Vous manquez pas de courage."

Ouai bon j'avoue, j'ai presque failli dire "vous manquez pas de couilles", mais c'eut été affreusement déplacé. En plus si ça se trouve y a des travelos dans cette ville, j'aurais pas voulu qu'elle croie que je la prenais pour un brésilien à talons hauts. Laissons la magie des relations homme-femme agir pour l'instant.

Elle est bonne et elle le sait. Putain ouai elle le sait. Une bitch te regarde pas comme ça si elle sait pas que tu serais prêt à lâcher cent foutus dollars pour juste foutre ton nez entre ses seins. D'un autre côté je donne de thunes à personne pour du sexe, je suis au dessus de ça. Je crois.
Elle dit rien et se contente de siffler son verre, sans broncher. Heureusement, si elle s'était étouffée sur la fin, ça aurait vachement tué mon érection. La ou tu t'attends à ce que je fasse pareille avec mon double Johnnie, je me contente de prendre une gorgée plutôt normale, et ce pour deux raisons.
La première est que j'ai pas envie de me flinguer la gorge, la deuxième est que c'est un peu comme un signe de paix. Tu veux m'impressionner en sifflant ton verre, mais moi j'en ai rien à branler, je bois pour moi, j'ai besoin d'impressionner personne. Enfin si, mais quand t'es un mec, c'est devant d'autres mecs qu'il faut se vanter de ses capacités d'alcoolique. Devant une gonzesse, ça fait un peu mauvais genre.

-"C'est pas la peine de me regarder comme ça. Dîtes-moi plutôt comment vous vous appelez. Ensuite vous me raconterez votre vie et tout ce qui s'ensuit, vous connaissez la routine j'imagine."

J'ai toujours l'air de m'en foutre, mais j'espère qu'elle se rend compte que je lui porte vraiment de l'intérêt. On m'a souvent reproché de pas écouter quand on me parle, mais c'est juste une impression. J'imagine que j'ai du mal à être expressif. Surtout quand je dois me concentrer pour regarder mon interlocutrice dans les yeux, et pas dans les tétons. D'ailleurs je suis sûr qu'elle attend que ça, limite elle a foutu des néons sur son décolleté pour qu'on regarde. Au moins elle est ouverte d'esprit, c'est une qualité qui se fait rare chez les filles aux gros seins. Tu vois ce que je veux dire, la fille dont le seul atout est sa poitrine et qui va te dire que les mecs qui la regardent sont tous des porcs. Heh. Des porcs. Je suis à l'abri de ce genre d'accusation, je suis casher.

Je suis sûr que c'est mes cheveux qui l'excitent comme ça. Ca doit être mes cheveux. Le fait que je baise quasiment ce que je veux depuis que je me laisse pousser les cheveux n'a sûrement rien d'une coïncidence. Le jewfro engendre l'orgasme. Avant même le sexe, BAM!
Clairement, elle a succombé au charme éblouissant de ma terrible combinaison de la barbe et du jewfro. Ca me donne un côté chanteur folk pas très folichon, mais que veux-tu. Comme dirait l'autre : "The power of the P.U.S.S.Y., that's why every motherfucker in the world dress fly.".
La ou ça cloche c'est qu'elle a la dégaine d'un putain de mannequin. Et pas du genre mannequin anorexique à la con, je te parle de la couverture de Playboy, pas de Cosmo. Certes, elle pourrait faire les deux, mais tu m'as compris je pense. Elle a pas non plus l'air d'une junkie poilue qui a un fétiche pour les chanteurs folk.

Tout ça pour dire que je suis encore plus fort que je ne le pensais. J'ai toujours cru que je baisais facile à Brooklyn parce que je choisissais des gonzesses relativement moyennes... Enfin, bien par rapport au reste, mais elles restaient dans le domaine de l'ordinaire, et surtout elles étaient très pauvres au point de vue psychologique. Que celle-là, elle a pas l'air conne, loin de là. J'ai un peu du mal à l'évaluer, vu son mutisme qui ne fait qu'endurcir mon érection, mais je lis dans ses foutus yeux qu'elle est loin d'être conne.

-"J'y vois pas d'objection."

Bien sûr, même si t'as une putain de réflexion kantienne derrière ta réponse, c'est la même que si tu t'étais juste dit "Hé elle a l'air cochonne, je vais peut-être tirer mon coup". Putain de monde. En plus j'ai cogité tout en la déshabillant du regard, mon esprit fait des miracles. Je lâche un talbin sur le comptoir et je me recule un peu. Il faut que je me recule, une seconde de plus avec ses seins contre les miens -qui sont d'ailleurs de superbes pectoraux, je suis pas exactement un gros lard- et je lui fais une balayette avant de me la taper sur le sol, là, devant tout le monde. En les incitant à filmer avec leurs portable. Et à envoyer le tout à la maison de production X la plus proche. Ma fortune serait faite.

Mais ça serait pas le scénario le plus correct et dans le fond, je suis quelqu'un de correct. Je pense. Par rapport au lascar lambda de Basin City il semblerait en tout cas. Mais ça me fait moyennement kiffer de la trimbaler chez moi. Premièrement, mon appart' en dit beaucoup trop long sur moi. Non pas que je me sois déjà aménagé à fond et tout, mais y a suffisament de trucs qui traînent pour qu'elle comprenne que je suis un sombre alcoolique avec un côté junkie. Deuxièmement, si c'est une tarée, j'aimerais autant qu'elle n'aie pas moyen de faire brûler chez moi à grands jets de cocktails molotov si je me retrouve à lui coller une droite ou je ne sais quoi. Troisièmement, vu sa classe, je suis prêt à parier qu'elle a un appart' terrifiant dans lequel j'aimerais bien pouvoir squatter.
D'un autre côté, ça implique de l'emmener et j'ai pas de bagnole. Et mon appart' est pas très loin. Tu gagnes ce round, pétasse.

-"Puisque tu m'as tutoyé la première, y a plus de secret entre nous : je suis à pied mais mon palace est pas très loin. Et tu peux m'appeller Howard."

Principe d'action : toujours y aller au bluff, ça c'est James Bond qui me l'a appris. Pierce, hélas, pas Sean, ni même Roger. Donner un faux nom, c'est le vécu qui me l'a appris, c'est vachement facile de retrouver quelqu'un quand t'as son blaze. Un peu plus difficile quand t'as pas de blaze. Tellement plus difficile quand t'en as un défectueux.

J'attire la donzelle vers moi en la tirant par la main puis je passe mon bras autour d'elle, histoire de jouer les mâles dominants. "Regardez ma gonzesse bande de branques, c'est ma mienne, toi t'y touches pas, toi tu la regardes plus.", il en faut un minimum. Je l'emmène comme un trophée jusqu'à la sortie de ce rade. Une bonne adresse ce rade, j'y reviendrais. Arrivé à l'entrée, ou la sortie selon comment tu veux prendre la chose, je la regarde avec mon regard super boulversifiant... Le regard qui dit "j'ai terriblement envie de te mettre, la, tout de suite", mais j'ai l'air tellement nonchalant à côté que tu doutes de mes intentions.

-"Tu veux pas me donner un nom? C'est important les noms. Même faux. Je te file 5 dollars si tu me dis que tu t'appelles Katie."

Ca, ça vient d'un fantasme sur la playmate Katie Price. Quand on a découvert qu'elle était d'origine feuj avec mon frère, on faisait semblant de dire qu'elle faisait honte, mais dans le fond on a jamais autant bandé sur elle qu'après avoir appris ça.

Avant que j'aie une réponse, mon portable sonne. Je le sors et constate que je sais absolument pas qui m'appelle. Bordel de couille. J'ai filé mon numéro à quelques personnes au cas ou y aurait du taf pour moi, mais j'osais pas espérer que ça arrive si vite. C'est pas que je me méfie de la gonzesse, mais je vais être obligé de la laisser en plan... Je voudrais pas qu'elle flippe et appelle les condés ou quelque chose dans le genre. Avec ce genre de bonasses on sait jamais à quoi s'en tenir. Aussi bien les criminels l'excitent aussi bien il suffit qu'elle m'entende passer un coup de fil louche pour partir en hurlant.

-"Vraiment navré ma colombe mais le devoir m'appelle. On se reverra, y a que les montagnes qui se rencontrent pas."

J'y compte pas trop, mais faut bien partir sur quelque chose de classe. Je tente pas de bisous d'adieu, c'est pas de mon niveau. Quitte à partir les mains vides, autant pas faire le mec en chien. Ca lui foutra les boules de voir qu'elle s'est faite laisser en plan, ça me console un peu. Les potes avant les putes. "I love pussy but not as much as I love money". Encore quelques citations de ce genre et je pourrais me retenir de me pignoler jusqu'à ce que je sois rentré. Mais pour l'instant je décroche en me barrant plutôt rapidement, pas envie qu'elle me rattrape et me gifle ou une connerie de ce genre.

-"Ouai j'écoute c'est qui?"

Après de longues sonneries, le type décroche et répond d'un air méfiant mais visiblement intrigué.

"Pour l'instant tu n'as pas besoin de savoir mon nom. L'important c'est qu'on m'a dit que tu cherchais du taf, et que tu avais des compétences. En tous cas c'est ce qu'on m'a raconté, mais je demande à voir. J'imagine que tu vois quel genre d'emploi j'ai à te proposer. Horaires noctures, service à domicile, payé à la tâche... Dis moi simplement si ça t'intéresse et où te rencontrer. Pour les détails, mieux vaut en discuter en face à face."

Autant ne pas y aller par quatre chemins. Sa réaction m'en dira déjà beaucoup sur sa personnalité.

Le lascar n'y va pas par quatre chemins. Il sait à qui il a affaire et il sait aussi sûrement qu'il a frappé à la bonne porte. Sa façon d'expliquer le truc pourrait laisser croire qu'il me parle de me prostituer mais j'imagine que c'est pas moi qu'il aurait appelé pour ça. Ou me rencontrer? J'aimerais autant éviter qu'il puisse me retrouver au cas ou les choses tournent mal. Mieux vaut s'éloigner de ce que j'appellerais mon nouveau quartier.

-"Je pense que tu parles effectivement à la bonne personne. Je suis intéressé. Je propose de se rencontrer dans un territoire propice à la discussion pacifique. La légende dit qu'il y a un super bar à putes du côté de la vieille ville. Et j'aime me rincer l'oeil quand je parle affaires. Tu peux y être dans la demi-heure?"

Le Kadie's est le bouge réputé de la ville, alors je suppose qu'il doit y avoir trois ou quatre flics en civil qui guettent les amateurs qui se prennent pour la bande à Bonnot et qui veulent préparer leur prochain braco autour d'un whisky. J'imagine qu'on prend moins de risques en allant parler illégalité au milieu d'hommes d'affaires au front suintant qui ne veulent plus toucher à leurs vieilles femmes.

Mon interlocuteur répond avec assurance, voire un brin de vantardise. J'ai affaire soit à un pro, soit à un petit baratineur. Il me donne rendez-vous au Old Town Babes, ce qui fait pencher la balance vers la seconde hypothèse. J'espère qu'il n'essaye pas de prouver sa virilité en m'emmenant dans un club de strip-tease, ça serait plutôt puéril. Mais plutôt que de juger hâtivement, j'accepte de le rencontrer. D'ailleurs, l'endroit est toujours agréable...

"Ok, au Babes d'ici 30 min."

...et je raccroche. J'espère qu'il aura compris que je ne suis pas un bavard, et que je supporte mal les grands causeurs.